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Pendant le confinement 2020, les idées de nos élèves ont fleuri. En voici un exemple :

Un tour à Queerstembert

 

Ou comment j’ai fait ma propre version d’une chanson traditionnelle à l’école de musique traditionnelle Les Menhirs

 

 

Je suis élève à l’école de musique traditionnelle Les Menhirs du Sel de Bretagne, où j’ai fait m’a première année de cours de chants à danser avec Manu Bouthillier comme prof de chant. Mon envie : passer de danser à faire danser !

 

 

       Le tour

 

Après quelques chants à danser du pays Guérandais, j’ai eu envie de faire des tours. C’est une danse en ronde, en 4 temps. On s’y déplace vers le gauche, en deux fois trois pas symétriques : le tour appartient en effet à la famille des branles doubles.

 

 

Elle vient de l’Est de Morbihan, de langue gallèse. Son équivalent en pays Breton est l’an dro (littéralement le tour).

 

Je me suis donc aventuré sur dastumédia, les archives du patrimoine oral de Bretagne à la recherche de chansons pour danser le tour.

 

 

Au fil de ma recherche, je suis tombé sur un titre qui a attiré mon attention : Y a core dix filles à Questembert qui aimaient bien les garçons.

Ce titre à attiré mon attention parce que j’aime bien les chansons qui racontent l’histoire de femmes en résistance contre le rôle qui leur a été assigné et les différentes oppressions et exploitations qu’elles peuvent vivre.

Par ailleurs, je suis bénévole au planning familial de Questembert. Le planning familial est un mouvement féministe et d'éducation populaire, qui milite pour le droit à l'éducation, à la sexualité, à la contraception, à l'avortement, à l'égalité des droits entre les femmes et les hommes et qui combat toutes formes de violences et de discriminations.

En lisant ce titre, j’avais l’espoir d’écouter une chanson qui parle de Questembertoises affranchies des morales sexuelles, faisant leurs propres choix dans une sororité émancipatrice des jougs du patriarcat, en somme l’hymne local d’une vague féministe oubliée à chanter aux copines de planning!

 

 

« Souffle un peu ! » me dit on. Je clique sur le lien, j’écoute l’enregistrement de Marguerite Guidoux, collectée en 1974 par Francine Lancelot.

 

Bon, autant vous l’avouer, je m’étais un peu emballé ! J’aime bien cette chanson, j’aime bien que les femmes dont il est question soient les sujets de leurs désirs, mais pour le renversement de l’ordre établi, j’avais espéré plus subversif.

Alors qu’à cela ne tienne, ne doutant pas un seul instant qu’il y eu de tout temps, au court de l’histoire du patriarcat, des femmes pour subvertir l’ordre des choses, je réfléchis à comment je pourrais faire dire à cette chanson, une histoire qui me parle plus.

 

 

         Une chanson, mille versions

 

En se baladant sur dastum, on se rend vite compte qu’il y a eu des collectages d’une même chanson auprès de plusieurs personnes, et que chacune a sa propre version.

Parfois ce sont les paroles qui changent, dans les menteries par exemple, les fruits du pommier peuvent être des mêles ou des fraises suivant qui chante, et parfois la même chanson est adaptée à différents airs, suivant les goûts ou l'environnement culturel des informateur·ice·s.

Y’a cor 10 filles à Questembert par exemple, n’est pas utilisé que pour les tours, mais aussi pour le pilé-menu et le contre-rond. Dans une version de contre-rond, ce ne sont plus les garçons qu’elles aiment, mais le son du hautbois !

 

Les chansons traditionnelles font partie de la culture orale. Elles se sont transmises de personne à personne au fil du temps et ont évolué au gré de la mémoire et des ajustements des chanteur·euse·s qui les faisaient vivre. 

 

Le propre de la chanson traditionnelle est-il d’être figé dans le temps d’une classe paysanne que l’industrialisation a fait disparaître, ou bien dans la transmission orale de personne à personne et donc l’adaptation au fil du temps et des chanteur·euse·s qui les interprètent et les transmettent ? Pour reprendre les propos de Marthe Vassalo dans son super article sur la place des femmes dans la musique Bretonne aujourd’hui, la musique traditionnelle est-elle la musique des autres, ou la nôtre ?

 

 Je vais pas m’atteler à la tâche de répondre à cette question ici, mais j’ai envie de faire danser, j’ai envie chanter des histoires qui me parlent, j’ai envie de faire vivre ces danses et chansons traditionnelles, mais pour autant, j’ai envie de respecter les codes de la chanson traditionnelle.

 

Alors, à mon cours suivant, je suis allé voir Manu pour lui demander comment on peut faire sa version d’une chanson traditionnelle, ce qu’on peut faire et ce qu’on ne peut pas faire !

        

 

       Les conseils de Manu pour modifier les paroles d’une chanson traditionnelle

 

 

Ce qu’on garde sans le changer, c’est la nature de la chanson, sa structure,  le nombre de pieds et les rimes.

 

                  •    La nature de la chanson

 

Cette chanson est une chanson à la dizaine où on décompte de 10 à 1. C’est à dire qu’on va chanter 10 fois les mêmes paroles en changeant juste le nombre dans les paroles.

 

 

                  •    La structure

 

La chanson est composée de trois phrases.

 

         La phrase 1 qui est chantée par la personne qui mène la danse et dans laquelle il y a le décompte, et qui est reprise ensuite par tou·te·s les autres danseur·euse·s.

 

         La phrase 2, chantée par la personne qui mène la danse, sans être reprise par les autres.

 

         La phrase 3, chantée par la personne qui mène la danse et reprise par tou·te·s les autres danseur·euse·s.

 

 

Dans notre exemple :

 

         Phrase 1

Y’a cor 10 filles à Questembert qui aimaient bien les garçons, qui aimaient bien les garçons

         Phrase 2

Elles s’en vont de bourg en ville, au son de la musique, au son du violon

         Phrase 3

Chantez dansez mes jolies demoiselles, si vous voulez nous allons nous amuser

 

 

                      •    Le nombre de pieds

 

Chaque phrase est composée d’un nombre de pieds, c’est à dire de syllabes.

Certaines chansons sont caractérisées par leur nombre de vers et leurs nombre de pieds dans les vers. Ce n'est généralement pas le cas des dizaines, plutôt caractérisées par leurs motifs textuels. Dans le doute, le plus simple c'est de respecter le nombre de pieds, comme ça on est sûr que ça fonctionne sur la danse, sans avoir besoin de trop bricoler !

Ca implique qu’en changeant les paroles, les mots qu’on remplace doivent être remplacés par d’autres mots qui font le même nombre de syllabes.

 

Si toutefois on veut ajouter des pieds dans une phrase, ça peut fonctionner en chantant certaines notes plus courtes. Inversement si on retire des pieds il faudra allonger des notes. Dans ma version, par exemple, j’ai remplacé « si vous voulez nous allons nous amusez » par « si vous voulez vous amusez » pour diminuer le débit de parole, en rallongeant la note du « vous ».

 

 

                    •    Les rimes

 

Dernière chose : les rimes. Elles sont portées par les dernières syllabes des phrases.

 

Il faut y faire plus attention dans les chansons qui déroulent une histoire plutôt que dans les chansons à décompter comme celle-ci qui répète les trois mêmes phrases tout le long de la chanson, mais la plupart des chansons traditionnelles ont des rimes.

 

Il y a deux types de rimes, les rimes masculines et les rimes féminines.

-Les rimes masculines, c’est les rimes des mots qui ne terminent pas par un -e muet. 

-Les rimes féminines, c’est les rimes des mots qui terminent par un -e muet.

 

Quand on veut changer les mots des fins de phrase, si ce sont des rimes masculines, on va essayer de les changer par des mots qui gardent la même rime.

Par exemple si le mot à la fin d’une phrase est « chanson », la rime est en -on et on pourra le remplacer par « luron ».

 

Quand on a une rime féminine, on prononce le -e muet (qui ne l’est plus tant que ça). Il faut veiller à remplacer une rime féminine par une rime féminine.

 

On peut faire des exceptions en changeant les rimes masculines, mais si on remplace les rimes féminines par des rimes masculines, on risque de changer le nombre de pieds de la chanson et de devoir dédoubler une syllabe pour couvrir deux pieds à un moment, et autant ne pas se mentir, c’est galère !

 

Dans la chanson des filles de Questembert, la question se pose peu, on a des rimes en -on dans les deux premières phrases et un dernier pied en -é dans la troisième phrase. Ce sont toutes les trois des rimes masculines.

 

Dans tous les cas, une méthode qui marche TOUJOURS, consiste à ne pas toucher aux derniers mots des phrases, ce que j’ai fait.

 

 

Pour la suite c’est très libre. En respectant ça, on peut modifier les paroles sans  craindre de rendre la chanson indansable. Et on peut raconter l’histoire qu’on veut.

 

 

       Ma version des paroles

 

 

Avec ces précieux conseils, je suis parti des paroles collectées. J’avais envie de rester proche de la version initiale, d’en faire une autre version, plutôt que de changer complètement les paroles. Et mon copain Dewi et moi on a trouvé assez spontanément comment jouer avec les paroles pour leur faire dire autre chose.

 

On fait partie de la communauté queer, mot anglais qu’on pourrait tenter de traduire par minorités sexuelles, sexuées et de genre, et une bonne partie de nos occasions de danser se font au sein de cette communauté. Autant dire que chanter que les filles aiment les garçons c’est pas ce qui nous fait vibrer le plus.

Alors Dewi a dit, « on peut remplacer le mot fille par gars ». Et moi qui ai surenchéri par « on peut aussi mettre une négation : qui n’aimaient pas les garçons ». Et c’était parti. En quelques minutes on s’est retrouvé avec une dizaine de possibilités, une pour chaque unité de la dizaine !

 

 

Voici les paroles avec les changements en bleu et ce qui ne change pas en violet:

 

 

Y’a cor 10 filles à Questembert qui aimaient bien les garçons, qui aimaient bien les garçons

Elles s’en vont de bourg en ville, au son de la musique, au son du violon

Chantez dansez mes jolies demoiselles, si vous voulez vous amuser

 

Y’a cor 9 filles à Questembert qui n’aimaient pas les garçons, qui n’aimaient pas les garçons

Elles s’en vont de bourg en ville, au son de la musique, au son du violon

Chantez dansez mes jolies demoiselles, si vous voulez vous amuser

 

Y’a cor 8 gars à Questembert qui aimaient bien les garçons, qui aimaient bien les garçons

Ils s’en vont de bourg en ville, au son de la musique, au son du violon

Chantez dansez mes jolis damoiseaux, si vous voulez vous amuser

 

Y’a cor 7 gars à Questembert qui n’aimaient pas les garçons, qui n’aimaient pas les garçons

Ils s’en vont de bourg en ville, au son de la musique, au son du violon

Chantez dansez mes jolis damoiseaux, si vous voulez vous amuser

 

Y’a cor 6 gars à Questembert qu aimaient les filles et les garçons,  qu’ aimaient les filles et les garçons

Ils s’en vont de bourg en ville, au son de la musique, au son du violon

Chantez dansez mes jolis damoiseaux, si vous voulez vous amuser

 

Y’a cor 5 filles à Questembert qu aimaient les filles et les garçons, quaimaient les filles et les garçons

Elles s’en vont de bourg en ville, au son de la musique, au son du violon

Chantez dansez mes jolies demoiselles, si vous voulez vous amuser

 

Y’a cor 4 filles à Questembert qu aimaient ni filles ni garçons, qu aimaient ni filles ni les garçons

Elles s’en vont de bourg en ville, au son de la musique, au son du violon

Chantez dansez mes jolies demoiselles, si vous voulez vous amuser

 

Y’a cor 3 gars à Questembert qu’ aimaient ni filles ni garçons, qu’ aimaient ni filles ni les garçons

Ils s’en vont de bourg en ville, au son de la musique, au son du violon

Chantez dansez mes jolis damoiseaux, si vous voulez vous amuser

 

Y’a 2 personnes à Questembert qu’ étaient ni filles ni garçons, qu’ étaient ni filles ni les garçons

Qui s’en vont de bourg en ville, au son de la musique, au son du violon

Chantez dansez mes joli·e·s camarades, si vous voulez vous amuser

 

Y’a une personne à Questembert qui était fille et garçon, qui était fille et garçon

Qui s’en va de bourg en ville, au son de la musique, au son du violon

Chantez dansez mes joli·e·s camarades, si vous voulez vous amuser

 

 

Ce que j’aime bien avec cette version, c’est qu’elle se base vraiment sur la version de Francine Lancelot, qu’elle est dans sa continuité.

 

Ensuite c’est qu’il y a un petit changement à chaque unité, qui maintient de la surprise chez les  danseur·euse·s, « Ha, qu’est-ce qui va arriver ensuite?! », et je trouve que cette surprise apporte de l’humour, de l’interaction entre meneur·euse et danseur·euse·s, et ça j’aime bien !

 

Et surtout que ces tout petits changements dans les paroles d’une unité à l’autre permettent de chanter une bonne partie de la diversité des identités de genre et des sexualités qui s’offrent à nous, et ce, en introduisant dans la chanson un vocabulaire compréhensible par tou·te·s et proche du vocabulaire des chansons traditionnelles : gars, camarade, damoiseaux, le verbe être et la négation.

 

 

Avec ces modifications, je garde la nature et la structure de la chanson, et je ne touche pas au nombre de pieds, ni aux derniers mots des phrases, et donc aux rimes, ça marche !

 

La petite entorse que je fais à la nature de la chanson c’est que les paroles ne sont pas 10 fois les mêmes, mais comme les changements sont légers et que la base reste la même, on n’a qu’à dire que c’est ok !

 

Mais il manque un truc pour que je sois pleinement satisfait !.. Je trouve l’air un peu trop triste par rapport aux paroles qui sont joyeuses, dans l’humour de « qu’est-ce qui vient ensuite ». J’en parle à Manu, et elle a la solution !

 

 

       Jouer avec la mélodie

 

Manu m’explique qu’une mélodie peut être, entre autres, en mineur ou en majeur. Celle ci, y’a cor 10 filles à Questembert, est en mineur.

 

Dans la culture occidentale, les mélodies en mineur sont souvent associées à des émotions plutôt sombres ou solennelles, et les mélodies en majeur à quelque chose de plus claironnant, brillant, clair. Ce n’est pas du tout le cas dans toutes les cultures, mais quand les thèmes et les images associés aux mélodies en mineur relèvent souvent d'une caractère sombre, on apprend à l'associer à ces mélodies. Pour schématiser, souvent mineur = triste !

 

La différence entre une mélodie dite « en mineur » et une mélodie dite « en majeur » se joue au niveau de la tierce, c’est à dire le troisième degré en partant de la fondamentale. En mineur elle est un demi ton plus basse qu’en majeur.

 

Pour "éclaircir" la mélodie Manu a proposé de monter un des degrés d'un demi-ton, en l'occurrence la tierce. Nous sommes donc passés d'une tierce mineure (basse) à une tierce majeure (haute).

 

Et voilà ce que ça donne :

 

 

J’ai plus qu’à vous souhaiter un beau mois des fiertés et m’en allez faire danser les copain·ine·s du planning et de As Queer As Folk !

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